Comment le jeu d'échecs peut être comparé à l'amour
Le jeu d'échecs peut être comparé convenablement à l'amour à cause des
nombreuses et diverses oppositions qu'on y trouve et qui ressemblent aux
batailles. J'en vois trois en particulier.
La première bataille est dans le cœur du jeune amoureux quand la nature le
pousse à s'intéresser à l'amour, au moment où il commence à remarquer la beauté
des jeunes filles qu'il rencontre sur son chemin. Et lui, qui avait l'habitude
d'être indifférent à toutes, commence à mettre entre elles une différence et à
orienter son imagination davantage vers l'une plus que vers les autres. Alors
cette bataille s'amorce en lui : d'une part, l'amour lui montre la beauté
de celle à laquelle il s'arrête, son joli corps, sa simplicité et ses manières
plaisantes, et les nombreuses grâces qui sont en elle. En son cœur s'engendre
alors un plaisir qui l'incline à aimer celle-ci plus que toutes les autres. Par
contre, quand il se ravise, il se met à résister et n'obéit plus au mouvement
de l'amour ; il se blâme lui-même et se dit que ce serait folie de lui
vouer son cour outre mesure. Mais à la fin, après plusieurs débats et
hésitations, l'amour le travaille tant et lui remémore tellement la beauté de
la jeune fille et son excellence, que, pris et vaincu, il lui abandonne son
cour et son amour et accepte de se consacrer à elle.
La seconde bataille se passe aussi à l'intérieur de l'amant. Après qu'il s'est
ainsi abandonné à l'amour, il se débat entre des pensées et des considérations
contradictoires ; il lui arrive parfois d'être joyeux, content, et d'avoir
bon espoir d'obtenir l'amour qu'il désire ; parfois au contraire, il est
triste et abattu, et il lui semble qu'il perd sa peine et qu'il lui est
impossible de venir à bout d'une si grande entreprise, au point d'en devenir
comme désespéré. Tantôt il rit, tantôt il pleure ; parfois il s'estime
heureux d'avoir une si belle amie et se félicite de l'amour qui l'a mise sur
son chemin, parfois il maudit l'heure où il l'a connue et se sent malheureux de
se lancer dans une entreprise si difficile, où il y a tant de périls et de
peines. Parfois il reprend courage et se dit que le lendemain, dès le lever du
jour, il ira quoi qu'il arrive au lieu où demeure son amie et lui avouera son
amour. Mais bientôt il se ravise et pense qu'il ne serait pas bon d'y aller à
cette heure-là, ou encore, s'il s'y rend, il n'ose pas se montrer à elle ni lui
dire son sentiment de peur d'être rejeté ou d'être vu, et alors il se retire et
s'en retourne tout confus.
source la BNF
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